Le vendredi 2 mars, un groupe de 25 étudiants des programmes de Techniques d’éducation spécialisée, de Soins infirmiers et de Sciences humaines a participé à une visite-expérience au Musée de la culture populaire situé dans l’ancienne prison de Trois-Rivières (construite au XIXe siècle). Pendant quelques heures, ils ont été en mesure de s’imaginer le quotidien des détenus séjournant dans cette prison, fermée en 1986 par Amnistie internationale à cause des conditions insalubres de détention.

Dès leur arrivée à la prison, les étudiants ont dû se placer en rang et attendre les ordres des gardiens, d’ores et déjà impatients et rigides. Insultes, railleries, cris : l’ambiance a été particulière. Le groupe a été scindé afin de faire éprouver aux étudiants le sentiment de n’être «pas bien», comme l’ont mentionné les gardiens-comédiens et les ex-détenus encadrant la visite. Une détention temporaire a eu lieu d’emblée pendant qu’une personne à la fois allait se faire prendre en photo, empreintes digitales à l’appui. Des insultes politiquement incorrectes ont eu lieu pendant le court séjour pour simuler le manque de justice et de respect éprouvé par les détenus à l’époque.

Privés rapidement de leurs effets personnels, les étudiants ont visité les cellules de la prison; les couloirs sombres, froids et humides; le «trou» où des détenus ont été enchaînés; puis les tourelles où étaient vidées les chaudières de déjections humaines – les détenus n’ayant droit qu’à un seau afin d’accomplir leurs fonctions vitales à l’époque. Les lieux exigus se sont succédé au fil des propos difficiles de Réjean (Rej) ou de Jean-Marc.

Le récit des ex-détenus en a troublé plusieurs, qui ont été en mesure de constater que la vie est faite d’injustices, que nous sommes des êtres vulnérables et souvent fragiles, que beaucoup trop de gens sont mal intentionnés dans ce bas monde, et qu’on se remet difficilement de s’être fait voler sa vie par un juge ou par ses bêtises quand on s’est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. De quoi remettre en question bon nombre de préjugés… Les récits bouleversants ont été ponctués de soupirs, de profondes respirations : il est difficile pour les hommes ayant vécu à cette prison de se raconter, raconter les agressions qu’ils ont subies à l’intérieur, raconter de quelle façon ils ont été violentés psychologiquement ou physiquement, de quelle façon ils n’ont pu manger de façon saine et adéquate, de quelle façon on a surchargé une prison de 130 pensionnaires au lieu de 60 afin de pouvoir bénéficier des subventions sans fournir le minimum décent aux détenus…

Cette soirée haute en émotion s’est conclue aux cris des gardiens qui ont laissé à peine une minute aux étudiants pour récupérer au moins une brosse à dents ou un chandail, avec leur sac de couchage pour la nuit. Le temps aux toilettes était aussi chronométré, et il était fortement encouragé de rester dans sa cellule pour la nuit (bien que celles-ci n’aient pas été verrouillées à clé, les lois du Québec ne permettant effectivement pas de séquestrer les visiteurs, qui avaient de toute façon déjà appris les leçons essentielles : se respecter, respecter les autres, respecter l’autorité, se taire, rentrer dans le rang, faire son temps. Le lendemain matin, un gardien vociférant à travers les couloirs a rappelé des consignes élémentaires aux détenus d’une journée – ne pas accéder à leurs effets personnels sans que l’ordre n’ait été donné, ramasser les chambres, se placer en rang, se souvenir de son numéro (tentative de déshumaniser l’individu). Au déjeuner, les hommes ont été condamnés à choisir leur plateau en dernier et à s’asseoir par terre (les règles étaient attribuées de façon binaire, les hommes par ci, les femmes par là) – des règles arbitraires et injustes donnant le ton à l’évènement, et rappelant qu’autorité ne rime pas toujours avec cohérence et respect. Parce qu’à titre d’institution, la prison doit rappeler son autorité absolue et la place de chacun : dans les activités, par les ordres, par les demandes, à chaque pas, pour que personne n’oublie sa peine.

Au final, certaines personnes se sont avérées plutôt amusées par l’évènement – les comédiens ne pouvant s’empêcher de taquiner les étudiants –; d’autres personnes ont été profondément troublées par les moments plus sombres et les récits crève-coeur. Personne ne réagit de la même façon face aux évènements de la vie comme aux récits d’une certaine souffrance; et personne n’a la même attitude face à des consignes édictées, même lorsqu’on est dépouillé de tout – reste la dignité à garder ou à retrouver.

Il est certain que les propos entendus lors de quelques heures, le vendredi soir ou le samedi matin, reviendront hanter longtemps ceux et celles qui les ont entendus.